Autre temps, autres mœurs syndicaux à Saint-Pierre-et-Miquelon !

Dans l’article de SPM la première (ICI), à propos de la mobilisation syndicale du 7 mars 2023 dans l’archipel, on peut y lire ceci :

« l’heure de mobilisation avait été décalée à 17 h afin, entre autres, de permettre à celles et ceux qui ne s’étaient pas déclarés grévistes pour des raisons financières de venir quand même… »

Je me pince pour savoir si je suis bien à Saint-Pierre-et-Miquelon. Un archipel de femmes et hommes de caractère se battant pour conquérir des droits fondamentaux, sans calculer la gêne que cela pouvait leur occasionner.

Décédé il y a quelques jours, Max OLAISOLA était de ceux-là ! (Décès de Max Olaïsola, figure du syndicalisme à Saint-Pierre-et-Miquelon). Un exemple d’engagement pour les autres ! Manifestement, en 2023, la relève n’est pas assurée !

La première fois que j’ai mis les pieds sur le caillou, en 2003, il m’avait accueilli avec son inséparable complice Jean-Paul Blin. Des soirées passées à me raconter les mouvements sociaux mémorables qu’ils ont accompagnés. Pour eux, la grève, c’était la guerre pour leurs revendications !

Suite au conflit qui a mobilisé le personnel du CHFD en 2013, j’ai écrit le livre « Les pacific’acteurs » dans lequel quelques pages sont consacrées à cette riche histoire sociale de Saint-Pierre-et-Miquelon. La relecture de ce passage permet de mesurer le temps qui nous sépare de cette fierté militante.

Extrait :

(les prénoms ont été changé dans le récit)

« Le vieux Michel était un militant syndical de la pire espèce pour un patron et le meilleur pour défendre le bout de gras des ouvriers de l’usine à poisson qui était, à son époque, la principale activité de l’archipel. Avant son départ à la retraite, en 1995, il organisait l’activité syndicale de tous les secteurs. La solidarité ! C’était son mot. Mais surtout j’ai eu la chance de pouvoir l’écouter.

…/…

« La grève, c’est la guerre guerre pour nos revendications« 

« Ici, les gens sont chauds ! Tiens par exemple ! En 1983 le pouvoir d’achat des fonctionnaires avait baissé de 35% depuis l’envolée du dollar en 1981. Le dollar c’est important ici, car quasiment tout ce que l’on achète est importé d’Amérique du nord. 

Nous avons demandé pour tous les salariés une augmentation des salaires équivalente ! L’Etat a refusé par la voix du préfet. Alors, nous nous sommes mis en grève. Mais la grève ici, c’est pas pour taper sur un tambour ou souffler dans une trompette. La grève, c’est la guerre pour nos revendications. Ils ne veulent pas négocier. Alors c’est la guerre. On bloque tout. La Mairie, la Préfecture, les entreprises. Tout quoi !        

Bon, la Préfecture c’est plus dur car chaque fois, tous les gendarmes de l’île sont devant. Alors on est allé au Conseil Général.

Après plusieurs jours de mobilisation, le préfet décide d’ouvrir des négociations. Mais rien n’en sort. Un jour, me voilà convoqué avec les camarades du syndicat. Sur l’île nous sommes majoritaires et tout passe par nous. J’y monte avec mes gars. Le maire était là ! Ils nous proposent un accord qui est nettement en-dessous de nos revendications. J’en prends note en leur disant : je vais voir mes troupes, mais dans l’état où elles sont, ça m’étonnerait fort qu’elles acceptent ! »

En débouchant sur le quai pour rejoindre mes camarades, les premiers salariés que je rencontre me prennent à partie. Ils m’insultent. Salaud, pourri, vendu.

Oh, qu’est-ce qui se passe ? Incompréhensible ! Lorsque j’arrive tant bien que mal à hauteur des premiers militants, mes camarades m’expliquent que le maire a déclaré à la radio qu’il s’était arrangé avec le syndicat pour signer un accord médian !

Quoi ? Signer un accord ? On a rien signé du tout ! Il nous a fait des propositions avec le préfet, mais rien à voir avec nos revendications. Je lui ai dit que nous les présenterons aux grévistes mais en étant convaincus qu’ils refuseraient.

La colère est montée. Je me suis mis sur un monticule qui dominait la foule des grévistes pour leur expliquer ce qui c’était exactement passé avec le maire en présence du préfet. Ils me connaissaient. Ils savaient que je ne pouvais pas les trahir mais ils voulaient l’entendre. Les quelques camarades qui m’avaient accompagné confirmaient mes dires.

Alors ce fut de la folie. Ils voulaient tout casser. En fait ils ont tout cassé. J’y étais aussi. On a investi la Mairie et nous en sommes partis quand il n’y avait plus un seul meuble, une seule chaise, un seul tableau au mur. On a tout mis à l’eau. Rien ! Il ne restait rien ! Ou presque rien.

Nous étions, toute proportion gardée, au bord de la guerre civile. Un commerçant avait même eu la fâcheuse idée de monter une milice pour nous contrer. Six mois après le conflit, il est venu me supplier de lever l’embargo qu’on avait mis sur son magasin !

Donc, nous étions très en colère.

Alors après, il a bien fallu que le préfet se mette à table. Le lendemain il nous a reçus à la Préfecture. Nous sommes rentrés entre deux cordons de gendarmes, cagoulés et parés d’un bouclier flambant neuf, qui s’écartaient au fur et à mesure que nous avancions.

L’entretien ne fut pas très long. Un quart d’heure tout au plus ! Il nous informa qu’une délégation était convoquée à Paris dans les prochains jours pour trouver un compromis. Nous avions gagné l’ouverture de vraies négociations. Ce fut à Paris le 17 novembre 1983. »

Autre temps, autres mœurs !


Autre extrait du livre sur le conflit de 1989 : « Mémoire d’un conflit en 1989 à Saint-Pierre-et-Miquelon »